Le temps de « l’empaysement »

Cette année, encore, une grande majorité des français a passé Noël en France pour de traditionnelles festivités familiales. Un choix qui contraste avec les tendances estivales : l’été dernier, près de la moitié des vacanciers ont opté pour des destinations à l’étranger.
L’émotion du voyageur en quête d’ailleurs a un nom : le « dépaysement », cette sensation si singulière qui envahit celui qui change d’habitude et s’immerge dans un environnement étranger. Mais qu’en est-il de l’émotion inverse, celle qui, à Noël, naît de la joie de se plonger soudainement dans un cadre familier ?

Curieusement, la langue manque d’un mot pour cela. Si l’été est la saison du dépaysement, la période de Noël serait-elle celle de « l’empaysement » ? Comme le dépaysement, l’empaysement est une rupture avec la routine du quotidien. Mais quand l’une se produit par une renconte avec l’extérieur, l’autre est la fruit d’un voyage vers l’intérieur. D’un côté, l’excitation fugace d’être étranger. De l’autre, le bonheur renouvelable d’être familier. L’un s‘amenuise irrémédiablement avec le temps, l’autre a un potentiel de progression et de répétition illimité.

L’empaysement n’est pas seulement une sensation, c’est aussi une démarche qui procède du besoin de se ressourcer, autrement dit de se retremper aux sources de son être. S’empayser, c’est prendre un bain de pays et s’y trouver bien. L’envie d’ici plutôt que de désir d’ailleurs.
On s’empayse lorsque l’on perpétue des coutumes ancestrales ou encore, lorsque l’on retrouve instinctivement la route qui mène à la maison familiale et que le paysage qui défile fait exhumer des tréfonds de notre mémoire sensorielle des familiarités émoussées par le temps, des terrains de jeu ayant bercé notre jeunesse, des odeurs de plats uniques préparés par nos ancêtres…

Cette quête d’empaysement, et il y a lieu de s’en réjouir, explique probablement l’engouement grandissant des français pour les fêtes traditionnelles : du carnaval de Dunkerque aux férias de Dax, de Bayonne ou de Nîmes, en passant par la braderie de Lille. C’est également ce qui se cache derrière le retour en vogue des banquets, la renaissance des confréries et des traditions régionales, offrant au plus grand nombre, la possibilité de se réapproprier la culture populaire française.

Au final, s’empayser, c’est aussi bien cultiver ses racines que les découvrir, les retrouver ou encore décider de « les faire pousser » à un endroit choisi dont on veut se faire adopter. On n’accède pas à l’empaysement par la seule hérédité. Ressentir la satisfaction de prendre des habitudes dans un coin de pays et de les perpétuer est aussi une façon de s’empayser. Avoir la fierté de devenir « d’ici ». S’empayser est le plaisir sans cesse renouvelé dans la fidélité à un lieu et aux gens qui y vivent.

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